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LES EXILÉS

Un autre Éros naquit, charmant, sa lèvre pure
Tout en fleur, agitant de l’or pour chevelure
Et portant haut son front de neige, où resplendit
L’éclat sacré du jour. Mais quand Zeus entendit
Ses premiers bégaiements, plus doux qu’un chant de lyre,
Quand il vit ses regards de femme et son sourire
Où la caresse, les aveux, les doux refus
Erraient, il devina dans l’avenir confus
Tant de colère, tant de larmes, tant de crimes
Hâtant leurs pieds sanglants sur le bord des abîmes,
Tant de douleurs penchant le front, tant de remords
Hurlant de longs sanglots à l’oreille des morts ;
Il vit si clairement la trahison vivante,
Qu’il sentit dans son cœur s’amasser l’épouvante,
Et fronça par trois fois son sourcil triomphant.
Alors il ordonna que le petit enfant,
Nu, froid, maudit, victime au noir Hadès offerte,
Fût porté dans le fond d’une forêt déserte
De l’Inde, dans un lieu du jour même exécré,
Où jamais l’homme ni les Dieux n’ont pénétré,
Et dont les sourds abris et les rochers colosses
N’ont pour hôtes vivants que des bêtes féroces.
C’était un bois funèbre et pourtant merveilleux ;
Splendide et noir, baignant ses pieds dans les flots bleus
D’un golfe de saphir. Debout près de cette onde,
Il la voyait depuis les premiers jours du monde
Réfléchir son front noir. Tel son abri géant
Était sorti de l’ombre et du chaos béant,