Page:Banville - Eudore Cléaz, 1870.djvu/24

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pauvre mère expira dans mes bras, désespérée de me laisser au monde seule, sans ressources, même sans la force physique nécessaire pour lutter contre la misère, car j’allais avoir quinze ans et j’en paraissais treize à peine. Mais je n’avais guère souci de vivre ! après avoir baisé pour la dernière fois les lèvres glacées de la chère morte, je n’avais plus le courage de rien, muette, immobile, toujours assise prés de son lit vide, et laissant couler des larmes qui me semblaient creuser dans mes joues des sillons glacés.

« Mais la douleur ne saurait être permise aux malheureux ! La maison où je restais seule avait pour propriétaire un consul de France, habitant depuis plusieurs années des pays lointains, et elle était régie par un homme d’affaires. Aussi, nulle pitié à attendre. Le mobilier de mes parents fut vendu pour les termes de loyer que nous devions, et moi, je fus recueillie par la bonne Rose Mariaud, qui m’apprit le brochage, me donna une place à côté d’elle à son métier et devint pour moi une seconde mère. Elle me donna, comme celle que j’avais perdue, non-seulement le pain, mais aussi les baisers, sans lesquels une enfant comme moi n’aurait pu vivre, et, charité plus grande encore, elle me permit de pleurer et pleura avec moi. Alors j’eus un répit, tout entière à mon travail et à ma douleur, et je pus être par la pensée avec mes chers absents. Hélas ! l’infortune et la maladie n’avaient pas épuisé leurs rigueurs autour de moi. Rose Mariaud fut atteinte par une fièvre ty-