Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/144

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comte de Mareuil en s’appuyant sur mon bras et en m’entraînant. — J’étais comme vous ; je l’ai trouvée laide ; mais vous verrez quels sont les incroyables prestiges de cette laideur !

« — Elle est donc bien spirituelle ? — repris-je, cherchant à m’expliquer la profondeur d’impression que me découvrait tout à coup un homme aussi dandy que de Mareuil.

« — Non, — dit-il, — ce n’est pas de l’esprit qu’elle a, du moins comme on l’entend en France. Je connais des femmes qui ont plus de reparties qu’elle, plus de montant, plus de feu de conversation ; mais ce qu’elle a et ce que je n’ai vu qu’à elle, c’est une fascination de l’être entier qui n’est précisément ni dans l’esprit, ni dans le corps ; qui est partout et qui n’est nulle part.

« — O strange ! very strange ! — dis-je alors, parodiant Hamlet, emporté par une impitoyable raillerie. — Mon cher de Mareuil, votre poème est touchant sans doute, mais l’amour est un rapsode aveugle. On ne chante pas comme vous quand on y voit clair.

« Nous restâmes longtemps sur le boulevard, lui me parlant toujours de la Malagaise avec une intarissable admiration ; moi lui opposant la plaisanterie comme un homme sûr de son fait ou qui croit l’être. Je me piquais beaucoup de juger les femmes, à la première vue, et