Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/200

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sait, vaincu. Je renonçai à exalter sa folie en la combattant : j’abandonnai la main que je tenais.

« Alors elle écarta avec un geste d’une lenteur triomphante la dentelle qui recouvrait la ferme tablette de la poitrine.

« — Écoutez ! — lui dis-je de toute l’autorité de ma parole, — vous m’avez dit que vous m’apparteniez ; vous m’avez dit que j’étais votre maître. Ceci est à moi ! Je vous défends de vous frapper là.

« — Eh bien, au bras ! — répondit-elle.

« Elle l’avait nu. J’essayai de diriger sa main et de retenir le stylet sur la peau effleurée ; ce fut en vain. Elle l’enfonça avec une résolution souveraine. Un flot d’un pourpre profond inonda son bras bistré.

« — Tiens ! bois ! — me dit-elle.

« Et je bus à cette coupe vivante qui frémissait sous mes lèvres. Il me semblait que c’était du feu liquide, ce que je buvais !

« Tout cela, marquise, était bien absurde, bien superstitieux, bien insensé, presque barbare ; mais si ce n’avait pas été tout cela, aurais-je aimé cette femme comme je l’ai aimée ? Je puisai sans doute dans sa veine ouverte l’avant-goût des voluptés cruelles, la soif du bonheur agité, brûlant, orageux, qui pendant longtemps fut ma vie. À partir de ce soir-là,