Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/205

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à tous les despotismes de cette femme qui avait tremblé de m’aimer. Je lui donnai une clef de mon appartement ; je m’y laissai enfermer par elle. J’eus la coquetterie de l’esclavage. Je fus l’odalisque de notre liaison et elle en fut le sultan. Cela lui plaisait ; cela flattait la fierté de son âme autant que cela rassurait l’inquiétude jalouse attachée à tout grand amour ; et moi, cela me plaisait aussi. Cela me plaisait de la voir vraiment souveraine et maîtresse ; volontaire, impérieuse jusque dans mes bras ; lionne frémissante dont le courroux était si près de la caresse !

« Je vous ai dit, marquise, qu’elle s’en allait tard. Son mari, sir Reginald Annesley, livré à son goût effréné pour le jeu, passait ses nuits dans les tripots et ne rentrait guères à l’hôtel que vers le matin. C’était à cette heure aussi que les bras enlacés se dénouaient, et qu’un dernier baiser scellait tristement nos adieux. Je l’enveloppais alors, pâle de plaisir et les artères encore palpitantes, dans un long châle qui lui cachait la taille, et je la reconduisais souvent en voiture, quelquefois à pied. Une fois, l’heure était plus avancée que de coutume. Le temps avait vainement marqué son passage. Plongés, perdus dans l’abîme de nos sensations, nous n’avions rien entendu. Le ciel commençait à blanchir, et je le lui dis.