Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/216

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et, sous ses formes déliées, le sang et les muscles de son père, le toréador ! Le comte de Mareuil n’avait rien exagéré en me racontant son enfance. Elle avait été élevée de manière à ce que tous ses instincts, bons ou mauvais, pussent se développer dans toute leur incompressible vigueur ; et pour moi, qui n’avais jusque-là connu et désiré que des femmes du monde, je respirais, avec dilatation, l’âpre saveur de cette énergique indépendance.

« À la fin de cette année, marquise, nous partîmes pour l’Italie et pour le Tyrol. Pendant quatre ans, à dater de cette époque, soit que nous ayons voyagé, soit que nous soyons revenus séjourner à Paris, Vellini et moi nous ne nous sommes pas séparés. Jamais Lara ne fut suivi plus fidèlement par son page que je ne l’ai été par cette femme, associée à ma vie errante, et qui, en toutes choses, voulait partager mon destin. Il n’est pas un danger que j’aie couru auquel elle ne se soit témérairement exposée. L’amour seul — comme elle le ressentait — l’eût entraînée partout sur mes pas, mais l’espèce d’âme qu’elle avait lui rendit cette existence plus facile. Orgueil, imagination, besoin d’aventures, tout cela fermentait en elle autant qu’en moi. Elle me disait souvent : « Mon âme est jumelle de la tienne, » — et c’était trop vrai ; car c’était l’occasion de