Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/221

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dant de la voir si esclave et si idolâtre ! Les folies qu’elle faisait avec sa fille avaient je ne sais quelle ressemblance avec d’autres folies que je connaissais… C’étaient des cris, des frénésies, presque des lèchements de bête fauve… Elle suçait ces grands yeux qui la regardaient, sans rien comprendre à toutes ces furies maternelles. Elle mordait amoureusement toute cette jeune et délicate chair où filtraient les premières fraîcheurs de la vie. Spectacle agitant pour mon âme ! Le père était moins fort que l’amant jaloux ! — « Qu’as-tu, Ryno ?… » me disait-elle, en relevant une tête ivre du visage de sa fille, qu’elle emportait dans ses bras. — « Ah ! — reprenait-elle, lisant dans ma pensée et s’enivrant encore davantage du bonheur de me voir si misérablement jaloux, — n’es-tu pas mon enfant aussi ?… » Et jetant là sa fille, au risque de la briser, elle s’élançait à moi, m’entourait de ses bras fragiles comme s’ils eussent été faits de fer, me soulevait et me portait, en riant, jusqu’à l’extrémité de la chambre. Alors elle apportait et roulait sa tête sous la mienne. Ah ! oui, c’étaient là des démences ! Mais n’avez-vous pas voulu les savoir, marquise ? C’étaient des démences dont une grande douleur ne put pas même nous guérir. Nous perdîmes notre enfant. Nous étions à Trieste. Elle expira après cinq jours et