Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/233

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le soir d’une journée qui avait été assez douce, car je ne voulais pas qu’elle se méprît et qu’elle pût croire à une décision irréfléchie et colère, — voilà plus de six ans que nous vivons ensemble comme mari et femme. Partout où je suis allé, je vous ai emmenée avec moi. Vous avez été autant mon compagnon que ma maîtresse. À ces six ans d’une pareille vie, dans ce tête-à-tête incessant, notre amour a dû mourir sous l’excès même de son bonheur. Vous le savez bien, vous qui, avant de m’aimer, connaissiez déjà les passions, et qui, élevée librement au soleil d’Espagne, avec du sang Mauresque plein les veines, n’avez eu jamais dans la tête ces idées d’un amour éternel qui créent, malgré la nature, de faux devoirs de cœur aux femmes… Notre amour était mortel comme tous les amours, et nous avions pris le moyen de le tuer plus vite par ces accablantes jouissances, toujours cherchées et toujours mises à la portée de notre main. La passion qui nous transportait a fait de nous de vrais sauvages. L’intimité a été la hache avec laquelle nous avons abattu l’arbre pour manger le fruit. C’est maintenant contre nous que nous l’avons tournée. Pourquoi ne pas nous épargner ces cruelles et fréquentes blessures, et puisque nous ne sommes plus heureux ensemble, pourquoi ne pas nous séparer ?