Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/234

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« Elle m’écoutait avec cette impassibilité qui rend toute pitié inutile. Elle était assise — je me le rappelle comme si c’était hier — contre le piédestal d’un vase de marbre rose que j’avais rapporté de Venise. Elle fumait languissamment son cigare, la bouche muette, les yeux nonchalants, les bras entre-croisés sur sa poitrine de jeune Dieu antique, la tête penchée sur son épaule couverte du flot de chenille écarlate qui ruisselait d’un bonnet grec, posé avec crânerie sur son front bombé et qui lui donnait l’air d’un Icoglan encore plus que d’une Odalisque. Je m’efforçais de plonger et de voir en son âme, mais ni pâleur ni rougeur ne traversa sa peau orange. J’eus peur cependant d’être trop dur pour elle et j’ajoutai :

« — Si notre enfant avait vécu, Vellini, c’eût été un lien indissoluble. Je ne parlerais pas de nous quitter. Mais Dieu lui-même semble avoir pris soin de nous rendre libres. Rien ne nous fait plus un devoir de rester les mains unies, lorsque nos cœurs se sont détachés.

« — Quand vous voudrez, je partirai, — dit-elle.

« Sa fierté contenait sa violence.

« — Non, — repris-je, — pas ainsi, pas quand je voudrai. Je vous prends pour juge de ce qu’il faut faire. Est-ce que cette vie agitée, tourmentée, tour à tour opprimée et