Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/243

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distraites près des miennes sans y ramener les vieilles soifs connues. Et quand, au Bois, descendue un moment de son cheval, elle appuyait son pied sur ma main pour remonter en selle, ce pied possédé, aimé, dévoré de baisers pendant six ans, laissait pour toute la journée une empreinte chaude là où il s’était posé, et alors, en ces instants-là, il semblait que les quelques gouttes de son sang mêlées à mon sang se soulevassent au fond de mes veines et y roulassent, comme si elles eussent voulu retourner impétueusement à leur source !

« Lorsque j’eus bien établi la señora Vellini dans la rue de Provence, et que je la crus suffisamment accoutumée à sa vie nouvelle, je m’en occupai beaucoup moins. Quelques-uns de mes amis, devenus les siens, la virent davantage et l’entourèrent d’un cercle plus étroit qu’il ne l’avait été jusque-là. Ce devait être. Quand elle vivait chez moi, quand elle était si publiquement, si officiellement ma maîtresse, c’était avec moi qu’il fallait compter. Elle m’appartenait trop pour qu’on ne mesurât pas la portée des hommages qu’on lui offrait. Je n’avais pas été jaloux, il est vrai. Sûr de son cœur, dans lequel je lisais, sachant comme elle était sincère, je n’avais jamais montré à mes amis ces revêches défiances de possesseur qui avilissent l’homme et ne sauvent pas la fidélité