Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/75

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teux en diable, parlant toujours de dégainer quand on le contrariait, et l’ayant fait très volontiers tout vieux qu’il fût (il s’était battu juvénilement, lorsque les alliés étaient venus en France, avec un colonel de Cosaques qui logeait chez lui et qui avait trouvé que les infusions de marjolaine qu’on lui servait le matin n’étaient pas du thé hyson et souchong, et il l’avait blessé), très mécontent de son gendre, qui était encore plus mécontent de lui, il était revenu vivre à Paris, en garçon, touchant ses fermages chez son banquier, et se moquant de l’opinion publique de sa province, qui l’appelait un vieux dénaturé, parce que, disait-il, il voulait la paix dans ses derniers jours.

Il était de haute taille, droit et sec comme un bambou, dont il avait les nœuds dans l’humeur. Il aimait autant le trictrac que la liqueur des Îles. Né pour être juge, il ne bégayait pas comme Bridoison, mais souvent il cherchait ses mots. Et comme dans la conversation il n’y a point de dictionnaire, pour se donner le temps de les trouver il avait pris, en vieillissant, la risible et déplorable habitude de répéter à chaque bout de phrase la locution de manière que… Quand on lui parlait, il avait toujours l’air attentif et très étonné, quoiqu’il fût bien loin d’être naïf, et il poussait avec sa langue sa joue creuse, en vous regardant.