Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/134

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avait poussé les déchirures jusqu’aux bords de l’horizon. Un banc de nuages, unis et tendres, retenait le soleil captif, mais sa lumière irisée commençait d’en franger les contours d’un ruban d’or incendié. Ryno longea le havre désert, en rêvant. L’incroyable bonheur dont il jouissait, depuis plus de cinq mois, n’avait pas mis dans cette âme, que nous avons vue si orageuse, un seul de ces ennuis inévitables par lesquels tout finit dans la vie, même, hélas ! la félicité. C’était une plénitude de jouissance qui donnait un beau démenti à la nature humaine, comme son bonheur en donnait un à la destinée. Mais, disons-le, la sécurité de ce bonheur venait de recevoir deux atteintes. Deux flèches, imperceptibles pour tout autre que pour l’âme frappée, étaient parties d’un arc invisible, toujours tendu de son côté. Vellini, forte d’un passé qu’elle évoquait par sa présence, était dans les environs. C’était elle qui, hier soir, l’insensée ! avait poussé deux fois ce cri, qu’il avait reconnu, malgré la nuit et la distance, venir de cette voix qu’il avait portée dans son âme pendant dix ans. Ainsi, la voir le matin dans la voiture de madame de Mendoze, cette première émotion qu’il n’avait perdue que sur le cœur d’Hermangarde, n’était pas assez. Il fallait qu’une autre s’ajoutât à celle-là, et vînt le troubler jusque sur ce cœur,