Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/135

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son empire et sa forteresse, où il oubliait tout et ne craignait rien. Ah ! si les femmes qu’on a aimées savaient ce qu’il leur reste de puissance, même après qu’on ne les aime plus, elles n’auraient ni de si cruelles désespérances ni de si lâches résignations !

Marigny, en proie à ses pensées, monta le chemin de sable de la falaise. Selon son usage, il avait pris son fusil pour tirer aux mouettes et aux hirondelles de mer. Deux chiens danois magnifiques, Titan et Titania, marchaient devant lui. C’était un cadeau de Vellini que ces deux chiens, d’une vigueur de lignes et d’un éclat de robe qui les faisait ressembler à deux fabuleux tigres blancs apprivoisés. Elle les lui avait donnés un jour, bien avant qu’il se mariât… Vingt fois, avec Hermangarde, qui aimait à poser sa main d’ivoire ciselé sur leur crâne carré et leur mufle noir, il les avait regardés sans penser à celle dont la main brune s’était posée à la même place. Bien des fois, il les avait vus se coucher et étaler leurs larges pattes dans le bas de la robe d’Hermangarde, traînant sur le tapis lorsqu’elle était assise, et jamais ils ne l’avaient distrait de cette femme dont ils froissaient le vêtement précieux et fragile avec la hardiesse de leur beauté. Aujourd’hui que cette femme aimée n’était pas là pour effacer tout de son charme, Titan et Titania