Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/137

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d’aucun homme, ne sentait alors le poids d’aucun vaisseau sur ses flots hautains et paisibles. Pour jouir mieux de ce grand spectacle, Marigny se dirigea vers la plate-forme de la Vigie, attachée au flanc de la falaise ; suivant ses chiens qui avaient pris cette direction avec des aboiements joyeux. Quand il entra sur cette plate-forme ruinée, il les vit se rouler de plaisir aux pieds d’une femme qu’avec le flair d’une fidélité immortelle, cachée, comme une leçon pour l’homme, dans l’instinct de ces généreux animaux, ils avaient de loin reconnue. C’était Vellini.

Elle était assise sur le vieux canon rouillé et détaché de son affût qui jonchait le sol et que les enfants de la côte avaient rempli de sable jusqu’à la gueule, en se jouant. Elle était seule. Les chiens, en se jetant sur elle, l’avaient surprise de leur choc et elle les repoussait doucement de la main, tout en leur rendant leurs caresses. Sa taille mince avait une grâce infinie de souplesse en se détournant pour éviter le saut des chiens qui voulaient lécher son visage, et comme elle cherchait des yeux celui qui devait les suivre, elle se détournait un peu plus encore, fine, brisée, tordue sur la base de ses hanches… Ryno revoyait sa couleuvre, — la liane de sa vie, — dont il avait si longtemps senti, autour de lui, les replis.