Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/19

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moment est mieux qu’une passagère et grossière ivresse. Je n’ai pas besoin des sourires noyés d’Hermangarde, de cette bonne pâleur que le bonheur étend sur les joues des femmes dont le cœur est plein, de ces rêveries qui penchent son front tout rayonnant des félicités de son âme, pour m’attester qu’elle est admirablement aimée. Je n’ai besoin que de regarder Marigny. Sa voix, son geste, toute sa personne, ce qu’il dit, ce qu’il ne dit pas, respire l’amour et l’exprime avec la plus irrésistible éloquence. Pour toutes les choses de la vie, il étend sous les pieds d’Hermangarde le manteau de velours que Raleigh étendait sous les pieds de sa souveraine, et c’est lui, lui qui est le souverain et le maître depuis quatre mois. Ah ! je ne doutais pas d’Hermangarde ! Elle l’aimait à m’effrayer moi-même. Je ne doutais que de lui, indigne à mes yeux de cette ardeur profonde et contenue qu’il inspirait à cette trop sensible enfant. Mon amour-propre d’observatrice me dit que je n’avais pas tort peut-être, mais le mariage a transfiguré Marigny. Vous ne le reconnaîtriez pas. Ce que je haïssais en lui a disparu : c’était cet orgueil de Tout-puissant qui flambait sur son front, même alors qu’il l’inclinait devant vous ; c’était ce sentiment de familiarité audacieuse qu’il avait avec toutes les femmes et qui perçait jusque sous les formes