Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/225

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dant que leurs pères écaillaient et lavaient leur poisson sur la pierre du seuil, et que les mères ou les sœurs aînées étendaient leur lessive à la haie du fossé voisin. L’hiver, elle n’y voyait personne. Qui hante ce pays oublié ? La mer le connaît mieux que les hommes. Deux fois par an, aux grandes marées, elle y vient, jetant ses écumes par-dessus la butte, comme une femme en colère qui jetterait ses coiffes autour d’elle, battant aux volets, se coulant sous les portes, et — comme le racontait cette langue de métal, la maigre Charline, la femme du vieux pilote Bas-Hamet, — dépendant sa marmite de la crémaillère, et montant jusque dans le lit où dormait son homme, aussi tranquille que dans son hamac. Certainement, des populations moins rudes auraient reculé devant ces invasions périodiques, et eussent abandonné un lieu exposé à des visites humides d’un caractère si dangereux, mais eux, non ! Dès leur bas âge, ils s’étaient accoutumés à ces trains de la marée aux équinoxes. Leur berceau, comme celui de Moïse sur le fleuve, avait été mis en branle par la lame, qui avait joué avec et qui l’avait respecté. Dès qu’ils avaient pu se tenir debout, on les avait poussés à la mer. C’était dans la mer qu’avaient grandi les cheveux ondés de leurs jeunes filles. C’était dans la mer que s’étaient lubréfiés les muscles durcis de leurs jeunes garçons. Leurs