Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/242

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les vieux enivrements retrouvés ; comme si le souvenir de tous ces fruits, mangés dans la jeunesse, n’était pas assez pour tenter les lèvres assoiffées, malgré les meurtrissures du temps !

Mais si peu orgueilleuse qu’elle fût, elle savourait les transports de Ryno avec des dilatations infinies, et elle eût voulu les garder comme un trésor perdu qu’on retrouve. — « Ah ! — lui disait-elle, — mon Rynetto, pourquoi donc as-tu l’air si triste en me regardant à présent ? Ce n’est pas ta faute si tu es là. Ce n’est pas la mienne. Mais, dis ! n’y as-tu pas été heureux ?… Ah ! vois-tu ? ce bonheur reviendra sans cesse ; tu le retrouveras ici toujours. Le plus difficile est fait maintenant : c’était le premier pas vers moi qui t’attendais dans des anxiétés cruelles. Est-ce que je ne t’ai pas réappris le chemin qui conduit à moi ? Ne te révolte pas, — ajouta-t-elle, car il fit un mouvement à cette parole comme un cheval qui se cabrerait devant une barrière et refuserait de la franchir ; — ne te révolte pas, cariño ! — Et elle lui jeta un de ces regards qui contiendraient un lion. — Ne crois pas que je m’enivre de ma puissance ! Si j’ai fait quelquefois des rêves, je les ai toujours brisés sur mon cœur. Tiens ! — ajouta-t-elle en baissant sa voix pleine, — veux-tu que je te conte le rêve détruit de ces derniers jours, pauvre chose précieuse que j’ai écrasée comme j’écrasais, toute petite, entre