Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/244

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comme l’avait dit le vieux Prosny au commencement de cette histoire. Dans le désordre de la robe, étalée là, relevée ici, l’autre pied se retrouvait un peu plus loin sur les gerbes, chaussé de sa pantoufle écarlate, et l’autre pantoufle avait roulé presque au bord du brasier dans la cendre, brillant là, vide et solitaire, comme le soulier de verre perdu jadis par Cendrillon.

— « Écoute donc mon rêve, — reprit-elle après un silence. — Tu as vu ce bâtiment Espagnol qui est encore sur la plage et qui va mettre à la voile dans quelques jours. J’ai parlé au capitaine, aux matelots. Ils me connaissent tous. Ils sont de Malaga et ils y retournent. Ils m’ont proposé bien des fois de m’emmener avec eux au pays. Ils ne savent pas, Ryno, que je tiens par des racines à cette terre que tu foules, que je suis ton ombre sur cette terre, que la Vellini a la chaîne d’un homme autour du cou. Ils l’ignorent, mais moi, je le sais… et je me disais que puisque tu dois me revenir comme je te suis revenue, puisque ton mariage est la noble imposture d’un cœur épris, mais qui se trompe encore une fois, nous pourrions bien partir ensemble et nous en aller de ce pays glacé, où les femmes ne croient pas aux sortilèges d’amour mais à la puissance de leur beauté toujours trahie, pour vivre, libres et unis, comme nous avons vécu autrefois. Ah ! quel bonheur