Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/288

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ne la coûterai pas à celle qui vous a remplacée, en lui apprenant que le bonheur de son enfant est détruit. Priez Dieu de me donner la force de me taire avec mon unique amie, ici-bas ! » Et dans l’exaltation de sa pensée de sacrifice, elle alla soulever le voile noir qui couvrait le buste impassible, et elle embrassa l’argile inerte, comme elle avait embrassé déjà l’ivoire de son médaillon. Elle s’appuyait sur ses affections pour résister à ses affections ! Les cris du cœur étouffés, elle revint à sa table à écrire, comme une Trappistine revient de l’autel, après avoir prêté son vœu de silence, et son noble cœur gouverna tellement sa main dans cette lettre, imbibée de tendresse, que la marquise put croire encore que son chef-d’œuvre de bonheur durait toujours.

Elle n’avait pas fini sa lettre lorsque son mari rentra. D’ordinaire, quand il rentrait au logis, cet homme aimé, elle allait à lui avec l’élan de son âme ravie et elle présentait à ses lèvres ce beau front, soumis au superbe, comme si ç’avait été la coupe de l’hospitalité de l’Amour ! Quand il parut, elle se leva d’un mouvement alangui et lui offrit, avec une grâce chaste et triste, ses longs bandeaux d’or à baiser. Il y avait, dans cet abandon, un parti pris si résigné et si fier ! Avec sa robe de couleur violette, cette pourpre éteinte dans laquelle les reines portent leur