Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/289

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deuil (n’était-elle pas une reine en deuil et la pourpre de l’amour meurtri n’expirait-elle pas dans le noir des douleurs cachées ?…), elle avait une expression de souffrance discrète et d’amour dompté si auguste, que Ryno l’embrassa comme il eût embrassé une sainte Image. « J’écris à notre mère, — lui dit-elle, — et j’ai laissé une page blanche pour vous. » Avait-elle saisi en Ryno une inquiétude sur les confidences qu’elle pouvait faire à la marquise, et voulait-elle le rassurer en lui livrant la lettre ouverte, sous prétexte d’y écrire la sienne ? Mais son exquise délicatesse fut trompée ; Ryno fut aussi délicat qu’elle. Il ne lut pas un mot de cette lettre dépliée sous son regard. Avait-il besoin de lire une syllabe pour être certain qu’elle savait se taire ? « C’est si facile de mourir sans parler ! » avait dit son délire. Son délire n’avait pas menti.

Mais ce magnifique silence, gardé avec la providence de toute sa vie, ce refoulement de toutes ses douleurs dans son âme, non seulement mêlait une admiration attendrie à l’amour que Marigny avait pour elle, mais soulevait en lui les nobles scrupules du devoir. « S’il est beau à elle — pensait-il — d’épargner la tranquillité des derniers jours de sa grand’mère et, en se privant de l’amère douceur de la plainte, de ne pas accuser un mari coupable, est-il