Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/290

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grand à moi, qui ai les torts, d’imiter son silence et de rester, après l’avoir trompée, trompant la marquise qui a été pour moi d’une affection si confiante ? Je l’aime toujours, elle, Hermangarde ; mais après ce qu’elle a surpris, peut-elle vraiment se croire aimée ? Elle qui touche à peine à la jeunesse, comprendrait-elle que je pusse l’aimer et cependant garder dans mon âme ces foudroyantes influences de dix ans passés avec Vellini ?… Absolue comme on est quand on est très jeune ; fière, pure et jalouse, elle ne comprendrait rien à ce mal enflammé du souvenir dont je suis la victime. Si je lui parlais de mes sentiments, elle attribuerait peut-être mes paroles les plus sincères à quelque égarement indigne d’elle, et dont elle se détournerait, en baissant les yeux. Non ! avec elle, son silence doit dicter mon silence. Mais avec la marquise, cette femme unique, qui comprend tout et qui connaît déjà ma vie, dois-je rester lâchement silencieux ?… Ne lui dois-je pas ma confession tout entière, moi qui lui en ai dit déjà la moitié ?… » Et il roulait incessamment dans son esprit de telles pensées. Ce qui le faisait hésiter encore, c’était de causer à une femme d’un si grand âge un chagrin tel qu’elle pourrait bien en mourir. Mais il se rassurait en pensant à la souple force de cet esprit, brisé par toutes les expériences de la vie ; à cette