Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/291

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sagesse des vieillards qui empêche les blessures morales d’être mortelles, comme la sagesse des jeunes gens empêche les blessures physiques de les faire périr.

Les jours qui s’écoulèrent irritèrent davantage ce désir de dire tout à la marquise. Ils furent muets, renfermés, contraints. Ils traçaient entre Hermangarde et lui à peu près leur sillon accoutumé ; mais sous ce pli, visible seulement aux surfaces, il y avait des changements profonds : toute une dévastation d’intimité. Ils en souffraient cruellement tous deux. Épris comme ils l’étaient, mais comprimant en eux les sentiments qu’ils s’inspiraient, ils épuisèrent leurs forces dans ce tête-à-tête contenu et embrasé. Parfois, quand Ryno avait passé plusieurs heures auprès de cette femme si belle et si douce, si grave et si contenue, sur cette causeuse où ils avaient vécu dans l’abandon des plus tendres familiarités, le désir de rompre cette glace, l’amour, la pitié, le repentir, tout le poussait à la prendre dans ses bras et à lui dévoiler le fond de son cœur… mais la pensée qu’elle ne le croirait pas l’arrêtait. Jamais pourtant, c’était bien vrai, il ne l’avait autant aimée. Jamais il ne l’avait vue aussi touchante que sous la calme et pâle acceptation du malheur… Cet amour sans confiance, cette vie qui ne demandait qu’à se répandre et qu’il fallait