Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/292

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comprimer, engendraient, pour lui encore plus que pour elle, des amertumes sans cesse dévorées et sans cesse renaissantes… Il s’en plaignait un soir à Vellini. Avec celle-là, du moins, il pouvait montrer la pensée dont il étouffait ! Elle le soulageait en l’écoutant. Ainsi, lien sur lien dans leur destinée ! Vellini n’était pas seulement la femme de son passé ; la vieille maîtresse, régnant, comme les rois de droit divin, en vertu des traditions et du souvenir ; le génie des ruines de sa jeunesse ; elle était aussi la femme avec laquelle il pouvait être franc, à laquelle il pouvait tout dire, près de qui il se dilatait dans la confiance quand il n’en pouvait plus… quand la main qui étreignait son cœur était lasse et qu’il avait besoin de respirer !

— « Oui, Vellini, — lui disait-il un soir, dans cette caverne qui abritait leurs entrevues ; — oui, Vellini, cette vie sans abandon, sans vérité, m’est insupportable. Mon courage est à bout… j’étouffe. Le front de ton Ryno n’a pas été fait pour tenir sous un masque. Un de ces jours, je le sens, le masque ou le front éclatera. »

Le jour expirait dans le crépuscule. Elle avait allumé sous la voûte du noir souterrain une de ces torches de résine semblables à celles que les pêcheurs penchent la nuit au bord de leurs barques, pour tromper le poisson qu’ils