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posée sur un guéridon chargé de journaux, de quelques livres, d’une tabatière d’écaille, et de lunettes revêtues de leur étui de chagrin. Elle semblait si préoccupée que tout d’abord elle n’aperçut pas son amie. De la main appuyée sur le guéridon, elle tenait par un de ses angles une lettre pliée qu’elle regardait à rapides intervalles. Son front clair, sous ses rides longues et droites, s’obscurcissait des soucis de la réflexion. Elle relevait parfois son regard, de la lettre qu’elle tenait sur la mer, qu’on apercevait de la fenêtre et dont les flots montants, devenus plus verts à l’approche du soir, emplissaient démesurément ce petit havre, creusé par la nature, qu’on appelle le port de Carteret.

Sa rêverie inaccoutumée frappa madame d’Artelles. Mais une telle distraction n’était pas si profonde dans un être d’un esprit aussi alerte que l’était madame de Flers, qu’elle n’entendît pas le frou-frou de la robe de soie de la comtesse. Elle tourna vers cette commensale de toute sa vie, encore plus que de sa maison, une tête fine, si bien portée encore, et lui faisant un petit salut familier et gracieux :

— « Où donc étiez-vous, ma très chère belle ? — lui dit-elle d’une voix libre et d’une attention déjà revenue.