Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/309

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Ryno comprit ce simple mouvement, cette précaution contre elle-même, ce mur épais d’une main retournée qu’elle élevait entre elle et lui, et cela, oui ! cela seul, lui fit mieux sentir qu’il était isolé, rejeté dans l’immense isolement de son amour pour elle, — et la lettre à la marquise de Flers partit le même soir.

« Que j’ai longtemps balancé avant de vous écrire ! » — disait cette lettre. — « Que j’ai eu de peine à accoutumer mon cœur à la pensée du chagrin que j’allais vous causer ! Mais il le faut, l’honneur de mon sentiment pour vous l’exige. Vous saurez tout. Seulement, ma noble mère, tout n’est pas irréparable. Soyez calme ; vous pouvez l’être. Lisez la ligne qui suit, pour avoir la force de continuer. J’aime toujours votre Hermangarde. Je l’aime plus peut-être que le jour où vous me l’avez donnée. Après cela, continuez ! Le reste est étrange, prodigieux, maudit ! mais je l’aime. Le bonheur pour vous, pour elle, pour moi, peut renaître. Il y a encore de l’espoir.

« Oui, laissez-moi vous répéter cette parole comme je me la répète à moi-même : j’aime Hermangarde ! Mais j’ai aimé aussi une autre femme, et cette femme, vous la connaissez ; je vous ai raconté ma vie avec elle. Je vous ai dit ses puissances, ses fascinations, ses ensorcellements. Je vous l’ai peinte, mais sans pouvoir