Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/355

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pêcheurs, petite fille de douze ans, maigre comme une cigale, aux manches retroussées et aux bras plats, dont le chignon, couleur de filasse, tombait sur un cou que le soleil avait plus hâlé que bruni, tant il était naturellement blafard, mit sur la table la friture demandée à sa mère, et Capelin, le preneur de crabes, s’attabla, sans plus de cérémonie, avec les deux amphitryons.

— « Merci pour mon homme, — fit Charline, — mais buvez sans lui, mes braves gens. Il est à Jersey et ne reviendra qu’à la fin de la semaine. Il est parti par la marée d’hier, — au soir.

— A-t-elle été bonne, la marée d’hier soir, camarade Capelin ? — fit le Griffon à son convive.

— Ah ! la mer est meilleure que les hommes, — répondit Capelin, en engloutissant une moque[1] de cidre qu’il avait fait chauffer dans les cendres. — Elle donne toujours, mais les hommes n’achètent plus. Nous mourrons de faim, cette année, ou il nous faudra aller vendre notre poisson jusqu’à Valognes ou à Cherbourg. C’est bon, ça, pour Pierre le Caneillier qui a un bidet, mais c’est enrageant pour mai qui porte à dos mon petit mannequin[2]. Les bonnes maisons de l’an passé n’existent plus.

  1. Espèce de tasse à fond large et à une seule anse.
  2. Panier d’osier qui a la forme d’un cône renversé.