Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/34

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de ce vieux héron de Fierdrap, de ces oies candides des Touffedelys, et de cette espèce de cacatoës huppé qui travaillait à sa tapisserie, aurait été composé, en fait de femmes charmantes et d’hommes rares, de flamants roses et d’oiseaux de paradis. L’abbé était une de ces belles inutilités, comme Dieu, qui joue le Roi s’amuse dans des proportions infinies, se plaît à en créer pour lui seul. C’était un de ces hommes qui passent, semant le rire, l’ironie, la pensée, dans une société qu’ils sont faits pour subjuguer, et qui croit les avoir compris et leur avoir payé leurs gages, en disant d’eux : « L’abbé un tel, monsieur un tel, vous en souvenez-vous ? était un homme d’un diable d’esprit. » À côté de ceux dont on parle ainsi, cependant, il y a des illustrations et des gloires, achetées avec la moitié de leurs facultés ! Mais eux ! l’oubli doit les dévorer, et l’obscurité de leur mort parachève l’obscurité de leur vie, si Dieu (toujours le Roi s’amuse !) ne jetait parfois un enfant entre leurs genoux, une tête aux cheveux bouclés, sur laquelle ils posent un instant la main, et qui, devenue plus tard Goldsmith ou Fielding, se souviendra d’eux dans quelque roman de génie, et paraîtra créer ce qu’elle aura simplement copié, en se ressouvenant.

Cet abbé, qu’on ne nommerait pas si, à cette