Page:Barbey d’Aurevilly - Amaïdée, 1890.djvu/78

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tôt son cœur dans le calice que le fatal calice ne reculerait ! À regarder si longtemps l’être adoré, on s’exalte, on s’irrite, on veut ! Quoi donc, ô créature humaine ?… Posséder ! crie du fond ténébreux de nous-même une grande voix désolée et implacable. Posséder ! dût-on tout briser de l’idole, tout flétrir et d’elle et de soi ! Mais comment posséder la Nature ? A-t-elle des flancs pour qu’on la saisisse ? Dans les choses, y a-t-il un cœur qui réponde au cœur que dessus l’on pourrait briser ? Rochers, mer aux vagues éternelles, forêts où les jours s’engloutissent et dont ils ressortiront demain en aurore, — comme un phénix couleur de rose, échappant des cendres d’hier, brûle dans les feux du soleil, — cieux étoilés, torrents, orages, cimes des monts, éblouissantes et mystérieuses, n’ai-je pas tenté cent fois de m’unir à vous ? n’ai-je pas désiré à mourir me fondre en vous, comme vous vous fondez dans l’Immense dont vous semblez vous détacher ? Mais avec ces bras de chair je ne pouvais pas vous saisir ! Sublimes dérisions de l’homme ! Aussi, étendu en face des perspectives idolâtrées, haletant après les désespérants horizons qu’on ne peut toucher, malade d’infini et d’amour, je me consumais en