Page:Barbey d’Aurevilly - Amaïdée, 1890.djvu/79

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angoisses amères. La chevrière de la montagne qui m’avait vu là le matin m’y retrouvait le soir, plus pâle, et s’enfuyait épouvantée, comme si un sort eût été sur moi. Souvent je me plongeais dans la mer avec furie, cherchant sous les eaux cette Nature, ce tout adoré, extravasé des mains de l’homme, insaisissable et si près de nous ! Après des heures d’une poursuite insensée, la vague me rejetait inanimé au rivage, la bouche pleine d’écume, presque étouffé et tout sanglant. Mais le désespoir durait encore. Je mordais le sable des grèves comme j’avais mordu le flot des mers. La terre ne se révoltait pas, plus de ma fureur que n’avait fait l’Océan. Autour de moi tout était beau, serein, splendide, immuable ! Tout ce que j’aimais, tout ce qui ne serait jamais à moi ! Ah ! le moi, dilaté par le désir et la rage, craquait au fond de ma personnalité ! Pour le délivrer de la borne aveuglante, pour briser son enveloppe épaisse, je tournais mes mains contre ma poitrine. Des griffes de lion n’eussent pas été plus terribles. Un enthousiasme ineffable me soutenait dans le déchirement de moi-même. Incurable faiblesse des passions ! Un soleil couchant sur la mer, quelque beau spec-