Page:Barbey d’Aurevilly - Amaïdée, 1890.djvu/89

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joies de la vertu n’avaient pas plus de durée que le troublant bonheur des passions, et elle était toujours apte à les éprouver de nouveau quand déjà, déjà et si vite, voici qu’elle ne les éprouvait plus !

Un jour, le Philosophe dit au Poète :

— « J’avais raison, ô Somegod, d’être impie à l’espérance. L’effort que je demandais à Amaïdée était trop fort pour elle. On ne relève pas une femme tombée, et toujours la chute est mortelle. Amaïdée s’est enfuie ce matin.

— « Enfuie ? — dit Somegod.

— « Oui ! enfuie, — reprit Altaï. — Elle n’aurait pas même eu le triste courage de me dire en face : « Je vais vous quitter. » — Ne la condamne point, mon ami ; elle a obéi à sa nature. C’est pour ceux qui n’ont jamais vécu de la vie de l’âme qu’il y a une fatalité ! Maintenant, l’action voulue par moi est achevée ; l’avortement de mon dessein est accompli. Ce n’est point une femme corrompue ; elle a des larmes et des rougeurs ; elle se dévouerait encore si elle pouvait aimer. Mais l’amour qu’elle éprouve est inerme et rapide comme sa volonté, impuissant. Tu vois, elle disait qu’elle m’aimait, et c’était vrai ; voilà