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Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/121

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sortir ! peut-être que je vous obéirai encore. Il est grand temps. L’air de cet appartement m’écrase. Ces fleurs m’enivrent. En grâce, ordonnez-moi de sortir !

— Ce serait une lâcheté ! — répondit-elle, en gonflant fièrement ses narines comme si elle eût marché sur un serpent. Et elle n’ajouta rien de plus.

— Mais vous n’êtes donc pas une créature humaine ! — s’écria-t-il. Et il enfonçait ses poings fermés dans ses yeux, comme on fait quand on veut être athée en face du monde. — Vous n’êtes donc pas de la même nature que moi ! — Et, comme s’il eût cherché la solution du problème auquel l’intelligence ne suffisait plus, il ramenait ses mains frissonnantes à la taille qu’il avait quittée. Le satin criait sous ses doigts et chatoyait comme électrique… Il sentait la résistance du contour voluptueux de la hanche contre son flanc, à lui, labouré de mille aiguillons. Il était pâle, il était pourpre, puis il était pâle encore, et le bonheur respiré en faisait un enfant de la beauté sublime qu’on ne voit qu’une fois dans la vie, et qu’on ne reverra jamais plus !

Madame de Scudemor le regardait avec ces yeux profonds qui creusent et allongent dans l’âme comme une spirale infinie. Mais il l’aimait tant qu’il semblent prendre un orgueilleux plaisir à défier ses perçants regards. Au plus perdu du fond du cœur d’Allan, elle pouvait se voir encore. Un vague sourire venait à ses lèvres tandis que le souffle d’Allan effleurait, au-dessus, la trace veloutée et brune qui n’a pas de nom chez la femme et qui redouble la fureur des baisers. Ce fut là que tomba le premier de la bouche virginale du jeune homme. Ah ! ce premier baiser sur les lèvres d’une femme, qui donc n’en a pas failli mourir ?…