Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/127

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vain, l’orgueil châtié par la souffrance, pensais-tu n’avoir plus à donner à celui qui t’aime que le denier de la veuve de tant d’affections ensevelies, que cette pitié tant de fois invoquée ! Tu ne savais pas plus qu’eux, Yseult, quelle colossale fortune il te restait… Moi, venu le dernier d’entre eux tous, je me referai une coupe où boire le bonheur et l’amour avec les débris du vase d’albâtre qu’ils ont brisé, et dans lesquels il reste imprégné un si suave parfum encore qu’on le dirait couronné de toutes les fleurs de ton printemps !

« J’ai bien souffert, — et par ta faute, et pourtant tu n’étais pas de celles qui cachent leur secrète pensée ou qui la démentent. Ton noble cœur avait refusé de retenir ce que le monde t’aurait peut-être appris si tu n’avais pas été toi. Tu m’as toujours paru trop grande pour ne pas être vraie. Toutes tes paroles respiraient la sincérité d’une amie ; mais, malgré toi, tu m’étais davantage, et un même jour devait emporter les illusions dont tu m’accablais et mes défiances, plus opiniâtres que mon espoir ! Ce jour est venu, et c’est plus que ta bouche qui a parlé, Yseult ! Ah ! je suis bien faible, ou le bonheur inattendu bien terrible, mais ce m’a été un tel envahissement de félicité dans mon âme, que n’eusses-tu pas été sincère avant ce jour d’abandon, après, tu serais pardonnée !

« Et toi, Yseult, n’es-tu pas heureuse aussi de te retrouver de la jeunesse quand tu la croyais évanouie ?… Pour une âme comme la tienne, vieillir est un mot qui n’a pas de sens. Aussi ne te réjouis-tu pas, du sein de tes désespoirs de la veille, de te reconnaître immortelle ?… Noble joie ! Orgueil digne de toi ! Quand tu disais que tu n’étais plus que l’ombre de toi-même, quand tu jurais que