Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/128

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la pierre du sépulcre était scellée à ton cœur glacé, ne te sentais-tu pas un regret inconsolable de la vie, une horreur secrète de ton néant ? Ne pleurais-tu pas sur la torche éteinte, dans cette nuit des Catacombes où tu errais seule au hasard ? Toi, forte et vivante créature toujours relevée autrefois, plus indomptable à chaque revers, toi que souffrir n’avait pas corrigée d’offrir ton brave cœur, dans l’intrépidité de son amour, aux déceptions, aux trahisons, aux ingratitudes ; ne sentais-tu pas ton rôle d’héroïne trop tôt achevé, qu’aimer toujours, qu’aimer encore était une grande et belle destinée ? Une destinée qui t’allait mieux ? Ne sentais-tu pas que la femme dont l’amour ne s’était pas desséché à ces souffles âpres de la vie l’emportait jusque sur Dieu même ? Car, Dieu qu’il est, sauve de la souffrance l’éternité de son amour, et la femme n’en a pas été préservée.

« Laisse-les dire, ces êtres inquiets parce qu’ils sont bornés, laisse-les dire dans les agitations de leurs petites jalousies ! Moi, je comprends mieux l’infini, et tu peux te rassurer, ô Yseult ! Non, la vierge ne vaut pas la femme qui s’est purifiée dans l’ardent creuset des passions ; elle ne la vaut ni comme amour, ni comme pudeur même. C’est surtout quand elle aime pour la centième fois que la femme est le plus sublime. Voilà ce que ton amour m’a appris ! Voilà ce qui me fait t’adorer plus à genoux encore ! N’est-il pas écrit, ô ma bien-aimée, que le neuvième ciel est le plus beau ?…

« N’aie donc pas peur pour moi, Yseult ! Dans la félicité suprême d’être aimé par toi, j’oublierai tout ce que tu m’as raconté de ta vie ; ou si parfois tu me le rappelles, tu en seras plus grande à mes yeux. Ne te dois-je pas le bonheur