Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de premier ordre, avait, par la pensée, survécu à une vie de cœur qui emporte ordinairement tout dans les femmes quand elle est finie, n’en était-elle pas l’irrésistible preuve ? Si la Bible, ce livre de toute vérité, n’avait pas dit que la femme devait écraser sous son pied la tête du serpent, on pourrait croire que son cœur l’aurait empêchée d’appuyer.

D’une autre part, la crainte qu’elle lui imposait souvent par la façon brutale dont elle traitait les illusions de son cœur, le retenait quand il était tenté de s’élancer à elle de toutes les forces qui étaient en lui. Elle le muraillait dans sa personnalité, et il n’échappait à cette captivité douloureuse que par les côtés les plus terrestres de l’amour. Les seuls moments dans lesquels cet amour rendait Allan moins malheureux, étaient ceux où les sens étouffaient l’imagination sous leurs voiles de chair. Chose qu’il faudrait avoir l’intrépidité de dire ! Les motifs de la comtesse de Scudemor écartés, que devait-elle être pour Allan ?… Et ces motifs élevés les séparaient plus complètement encore que l’inerte abandon qu’elle faisait d’elle-même.

Aussi, les paroxismes passés, Allan tombait dans un abattement affreux ou dans des colères inutiles contre le sort qui finissent par le mépris de soi. Que deviendra-t-il donc, quand les premiers instants de la possession désirée et ses ivresses, pour lui si nouvelles, auront disparu ?

Cette courageuse et extraordinaire madame de Scudemor ne se démentait pas. On ne pouvait lui reprocher ni une pusillanimité ni une inconséquence, c’est-à-dire une pusillanimité encore. Elle jugeait la passion d’Allan vis-à-vis d’elle. Elle savait qu’il devait souffrir, mais elle espérait que cette souffrance ne durerait pas assez pour mener