Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/153

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cette vie qui commençait au marasme. Elle aurait pu, comme bien des hypocrites, grimacer assez d’amour pour abuser Allan, mais elle aurait craint de retarder le déclin de son sentiment pour elle.

Ce sentiment, comme on l’a dit, avait absorbé chez madame de Scudemor toutes les sollicitudes maternelles. Camille, abandonnée à elle seule, avait ainsi vécu quelques jours. Depuis le soir du grand salon, la comtesse avait écarté sa fille davantage. Toujours, si Camille était là, elle trouvait un prétexte pour l’éloigner. Prudence nécessaire, mais tâche difficile. Les précautions que prenait madame de Scudemor n’étaient-elles pas plutôt de nature à faire soupçonner à Camille ce qu’il importait tant de lui cacher ! Je sais bien qu’elle avait sur ses grands beaux yeux ce bandeau blanc de l’innocence, aussi épais que le bandeau aux mille arcs-en-ciel de l’amour ! Mais, d’un jour à l’autre la pénétration pouvait s’éveiller. Il ne faut qu’un mot pour dérouler tout un poème dans une imagination soudainement embrasée, un regard qui fait curieusement réfléchir, un rien, pour troubler ce formidable et à jamais ignoré quelque chose qui s’appelle « l’âme » dans les langues humaines. Cette idée tourmentait madame de Scudemor. Le peu d’abandon qu’elle avait dans ses rapports avec sa fille disparut. Rien n’était changé au fond, et pourtant tout était changé. C’était triste, mais était-ce cruel pour ces deux êtres entre qui Dieu n’avait pas mis cette tendresse qui n’est si grande, chez les mères, que parce qu’elle est l’adoration d’un passé consacré à tous les titres, par la peine ou par le bonheur ?

Elle en parlait souvent à Allan : « Voyez-vous, » — lui disait-elle un soir, à la place même où elle s’était don-