Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/187

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globe d’azur de l’univers d’un autre cœur à embrasser, il s’élève de l’âme un grand cri et c’était le cri que poussait Allan ! Jeune homme que l’hébétement de la sensation n’avait pas engourdi de son contact de torpille, il ne se contentait pas du philtre qu’il buvait à pleines gorgées, et qui n’endormait repus qu’une seule espèce de désirs.

… Fatiguée sans doute de secousses si nombreuses, madame de Scudemor s’était endormie. Ses cheveux, elle ne les avait pas rattachés. Son sein, elle ne l’avait pas recouvert. La lueur de la lampe adoucissait les rondeurs un peu mâles de ce visage, et fonçait le duvet de soie qui estompait ses lèvres que le sommeil mollement dosait. Quoique pâle et les yeux fermés, comme une morte déjà ensevelie, sans un rêve qui lui envoyât une goutte d’ombre du bout de son aile en passant sur son front et ses yeux, tout en elle révélait pourtant extérieurement la vie, — une vie plus profonde et plus concentrée que celle dont on est submergé à vingt ans. Il n’y avait pas une de ses veines qui n’en accusât la présence sans se gonfler, pas un battement de ses artères qui n’en fût l’expression régulière et forte. Elle la transpirait par chaque pore. À sa respiration longue et calme, mais puissante, on aurait pu croire qu’il allait s’échapper un monde de son sein légèrement soulevé. En vain l’âge qui venait, l’âge intraitable, avait imprimé ses offenses à ce front que souffrir et penser avaient vieilli avant les années, à cette bouche qui n’avait plus même la tristesse du regret, à ces cheveux dont la noirceur n’était plus tout à fait pure, — mais toutes ces raies apparentes sur ce beau marbre de Carrare, n’avaient pas entamé plus avant le bloc invulnérable. Si le temps n’était pas vaincu, du moins semblait-il s’arrêter, étonné,