Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/188

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avant de recommencer cette lutte qu’il n’épuiserait pas en quelques jours. Et cela était beau que cette espèce de lenteur avec laquelle il attaquait une créature mortelle, comme s’il eût eu peur d’avoir affaire à quelque immortalité !

Allan, une main accrochée à la tête d’un des sphinx de la couche, Allan à genoux sur le lit, auprès de madame de Scudemor, la fixait d’un œil moitié morne et moitié ravi. Il admirait cette plénitude d’existence, ce luxe de force et de repos. Penché sur ce sein immobile, écoutait-il les murmures du torrent de vie qui circulait inutile dans cette organisation puissante, mais qui, hélas ! n’en jaillissait plus ?… Ou suivait-il, à ce cou d’un sculpté si vigoureux et si doux, la trace ardente des mains qu’il y avait portées dans une fureur qu’il se reprochait ?

— Oh ! — pensait-il, — tant de jeunesse encore ! et pas pour moi ! Même ce corps divin qu’elle m’abandonne, je n’ai pas le pouvoir d’augmenter d’une pulsation de plus la vie qui l’anime ! Sous mon cœur, il est comme là. Et pourtant que cette vie semble immense ! Comme cet Océan écumerait s’il y avait un souffle assez puissant pour le soulever ! Comme elle serait belle, ô Dieu ! si l’amour avait un dernier et faible rayon pour elle. Comme le bonheur donné par elle ressemblerait peu à ces bonheurs que les autres femmes peuvent donner ! Avec quelle impétuosité je livrerais ma vie entière à dévorer à ce bonheur, trop anéantissant pour durer ! Mon Dieu ! comme elle me tuerait bien !… — Et il pleurait. L’orfraie criait seule au dehors. Il pleurait. Les larmes tombaient lentement sur le sein de madame de Scudemor et, successivement, y séchaient, inutiles comme sur un cercueil.