Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/22

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caresses qu’elle leur fait ? Et, quand Allan passait son bras autour de la taille de couleuvre de l’onduleuse Camille, était-ce comme le lierre autour de l’arbre qu’il étreint sans rien réchauffer ?…

Des imprudentes mères de ces enfants, la mère d’Allan, si elle avait vécu, aurait été la plus coupable… Son fils avait les troubles, les rougeurs, la tête penchée d’un âge qu’on peut regarder comme un second enfantement à la vie. Imagination d’une telle plénitude qu’elle se passait d’aliments et qu’elle se nourrissait d’elle-même, Allan, dont les études étaient à peine terminées, répudiait toute espèce de livres. Les poètes, ces fées divines des contes qu’ils nous font, avaient peu de merveilles pour lui, qui dédorait en les lisant leurs pages les plus reluisantes. Ce dont on pouvait douter dans Camille, on ne pouvait en douter dans Allan. Cette panthère qui couche dans l’antre du cœur de l’homme s’éveillait dans le sien, et lui mettait sa griffe au front. Il souffrait du mal d’avoir dix-sept ans.

Ses yeux n’avaient déjà plus, s’ils l’avaient jamais eu, l’éclat matinal des yeux de Camille. Les siens roulaient voilés sous une paupière mi-close, comme ceux d’une indolente sultane au sortir du bain. Au-dessus de cette paupière, entre de longs sourcils imperceptiblement froncés par une rêverie continuelle, se creusait un pli, expirant sillage de la pensée mystérieuse enfermée dans ce front, semblable à une coupe voluptueuse par la forme et la grâce de son adorable contour. La mère d’Allan, une Anglaise, avait, disait-on, passé les neuf mois entiers de sa grossesse à regarder avec une obstination superstitieuse le portrait de lord Byron, dont elle était folle, et ce front de génie, — où la pruderie épouvantée de l’Angleterre