Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/23

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voyait le coin de la démence dans un de ses angles, hardiment prolongé sous la masse des cheveux bouclés qui le couronnaient, — ce front, à la fois charmant et sublime, elle l’avait donné à son fils. C’était là ce qui sautait aux yeux de qui regardait Allan pour la première fois, et ce n’était guère que plus tard qu’on s’apercevait des originales beautés d’un visage qui ne ressemblait qu’à lui-même. Habituellement les yeux d’Allan étaient mornes comme le sont presque toujours les yeux de ceux qui regardent plus dans leur cœur que dans la vie ; mais à la moindre émotion ou au moindre caprice de ce jeune homme, à l’âme plus passionnée que forte et qui deviendrait peut-être robuste avant d’avoir un caractère, il partait de ses larges prunelles mates un dard de lumière, comme le trait d’or d’une étoile qui file dans un ciel noir à travers les branchages plus noirs encore d’une forêt. Allan portait, ainsi que Camille, le cou nu et les cheveux coupés court. Seulement, dans sa titus hardie, Camille montrait les cheveux droits et drus d’un garçon, tandis que les cheveux d’Allan étaient naturellement annelés et tassés autour de sa tête brune comme s’ils eussent été des cheveux de jeune fille, et, par ce contraste singulier, ces deux enfants donnaient une fois de plus l’illusion à laquelle on se prenait sans cesse, quand on les voyait, de leurs deux sexes transposés.

Depuis quelques mois Allan avait montré une tristesse, ou, pour mieux parler, une inégalité d’humeur qui rejaillissait jusque sur Camille. La cause de ce changement était inconnue aux habitants du château des Saules. Parmi toutes les femmes qui étaient venues y passer l’été, parmi toutes celles qui regardaient ce beau rêveur, dont la beauté faisait peut-être naître la rêverie aussi dans leurs âmes,