Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on porte haut pour que mieux on les voie, seule couronne qui accompagne bien nos calvities prématurées dans nos fatuités de César ! Du reste, partout ailleurs qu’aux sommités de la face il respirait la jeunesse, une jeunesse pleine, écumante, souple, cambrée, cette jeunesse qui fait de nous des demi-Dieux parce que nous ne sommes des hommes qu’à moitié.

Aussi distrait que madame de Scudemor, il avait les yeux vaguement tournés vers Camille, placée en face de lui à une des fenêtres et travaillant à une broderie. Elle était alors ce que les femmes, dans leur singulier langage de pudeur et d’indécence, appellent tout à fait formée. Sa tête, d’un roux sombre qui touchait au noir, tant, comme Allan, elle avait bruni en Italie, s’harmoniait bien avec la tenture feuille-morte du salon ; mais on ne voyait que les courbures du front incliné et la ligne idéale du cou, se perdant sous une pèlerine modeste et se retrouvant au corsage pour se perdre encore dans la robe flottante. Bain à mi-corps, dans des tissus épais ou légers, de toutes ces syrènes des jardins d’Armide pour qui les indolences de la démarche ont des souffles trahissants ; perspectives distinctes et tout à coup troublées, à travers les limpidités de ces voiles.

Tels étaient les changements qu’on pouvait remarquer en ces trois personnes. Placées dans la vie à ces âges de transition, pentes plus rapides, sentiers qui tournent, il devait toujours se trouver des espaces entre elles ; mais à présent qu’elles avaient avancé toutes les trois dans la spirale de la montagne, des pics arides séparaient Allan de madame de Scudemor, tandis qu’entre Allan et Camille à peine y avait-il quelques genêts faciles à franchir.