Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/236

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irritante, de la voiture qui vous rapproche de toutes ses ondulations. Vous n’aviez jamais vu cette femme ainsi, sous tous les arcs de lumière, depuis le point du jour jusqu’au crépuscule ; et la nuit ne vous avait pas surpris n’en pouvant plus de toutes les émotions de vingt-quatre heures regorgeant les unes sur les autres. Que si le voyage est bien long, quand on arrive enfin n’y a-t-il pas un poids de désirs dont on étouffe et dont il faut se débarrasser ? Et si c’est en Italie qu’on arrive, — en Italie où, n’en eût-on pas, on irait chercher les passions, — dans ce pays, beau comme la femme et maudit comme elle, les serpents engourdis ne relèvent-ils pas la tête à ce soleil où vont se réchauffer les malades et qui, dit-on, empêche de mourir ?

Mais cette phase de l’amour d’Allan était le dernier mouvement d’ascension, après lequel il ne trouva plus qu’une courbe à descendre. Il y a des sentiments qui meurent soudainement, comme frappés d’une foudre invisible. C’est le néant qui mate l’homme, alors. Il y en a d’autres qui s’énervent et qui s’oblitèrent avec lenteur. C’est l’homme qui livre une bataille, perdue du moment qu’elle s’engage avec ce néant plus fort que lui. L’amour d’Allan fut de ces derniers. Il eût été assez difficile d’en suivre les insensibles dégradations. Probablement, Allan lui-même ne les aperçut que fort tard.

Chose singulière ! Il pardonna plus à Yseult d’être en dehors de son amour que de tous ses autres enthousiasmes. Il ne savait pas qu’il y a un fond dans le cœur humain où, pour qu’on y soit descendu, on n’entend plus rien de la musique de la terre, on ne voit plus rien du ciel et du jour. Il ne savait pas que la douleur fait en bas ce que le génie fait en haut, et rend toute admiration impossible. N’était-ce