Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/260

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sur tout ou à propos de tout, et elle les recueillait comme des oracles. La vie intellectuelle, comme la vie sensible, ne lui arrivait que par lui. Soit qu’il lui parlât, soit qu’il lui lût quelque poète, — un de ces hommes à la flûte de cristal qui endorment les mauvaises passions dans le cœur, comme le musicien antique, — elle s’ébattait et palpitait sous sa parole, l’œil baissé, avec un flocon incarnat ou une pâleur à la joue, et elle sentait parfois que, pour se remettre, elle n’avait qu’à le regarder ; cette vue l’empêchait de s’évanouir. La vie, près de couler à fond, se reprenait à l’homme aimé et ne sombrait pas, et toutes ces délicieuses et poignantes sensations étaient si profondes que, pour madame de Scudemor ni même pour Allan, rien n’en transpirait.

Madame de Scudemor voyait avec soulagement que les belles facultés d’Allan avaient échappé à sa passion et qu’elles lui survivaient. Elle avait aussi son bonheur à l’écouter ; triste bonheur, sans émotion et sans joie. Bonheur fait tout exprès pour elle, dont l’âme n’avait plus le pouvoir de goûter le moindre plaisir avec énergie. Quelquefois, entraînée par le torrent d’idées du jeune de Cynthry, elle retrouvait le langage animé, et comme détrempé dans les couleurs de sa vie à présent déteinte, qu’elle avait eu à certains jours avec lui et qu’on ne lui connaissait pas dans le monde, où sa pensée flottait, comme un liège au-dessus d’une eau flasque, sur la torpeur des conversations. Mais ces instants étaient de courte durée. L’enthousiasme des idées ne remuait pas plus cette femme que l’enthousiasme des sentiments. Elle souriait, non pour les autres, mais en elle-même, quand son langage s’embrasait des reflets du langage d’Allan alors que ses