Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/284

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çonner quelles mystérieuses effluves d’amour s’épandaient de ces deux jeunes gens, — vivant si près d’elle et qui paraissaient vivre tout naturellement de la simple vie de la famille, — en présence de cette intimité qui était plus qu’une familiarité d’habitude, et dont les dehors chastes et retenus exprimaient une affection si profonde. Elle les regardait avec ses yeux secs et son sourire pâle, et qui sait si elle ne souffrait pas, au fond du cœur, de ne pouvoir être en tiers dans cette confiance et cette amitié ? car les affections font envie encore lorsque le cœur n’a plus la force de s’attacher, et la nature humaine s’ingénie tellement à souffrir que ce qui ne serait plus un bonheur peut être une douleur pour elle. Regret faible, du reste, s’il existait en Yseult, et qui mourait silencieusement où il était né, sans trahir son existence avortée dans son visage tranquille et défait.

Quelquefois, quand elle n’était pas dans le salon, Camille disait ingénuement à Allan : « Ma mère ne sait pas à quel point nous nous aimons, mon frère ! » et cette parole tombait comme un froid glacial au milieu des douces impressions et des inépuisables sensations d’Allan. Il avait de puissantes raisons, le malheureux ! pour souhaiter qu’elle l’ignorât à jamais. « Mais, — reprenait Camille, toujours travaillant à sa broderie, — qu’est-ce que cela fait qu’elle ne le sache pas ? Ces choses-là ne peuvent se confier. Est-ce parce que je n’aime que toi, Allan, qu’il me serait impossible de dire à un autre combien tu m’es cher ?… Et puis, ma mère, toute bonne qu’elle est pour moi, est si froide que je me sens timide avec elle encore plus qu’avec une étrangère. »

Allan n’osait répondre à ces paroles. Il savait combien peu madame de Scudemor était, par le cœur, la mère de Camille. Mais lui, à qui elle s’était dévoilée, lui qui con-