Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/285

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naissait la cause de l’aridité de cette âme trompée et ulcérée, il avait pour elle un tel respect qu’une observation dite sur sa froideur lui eût semblé une dureté et une ingratitude. Camille ne pouvait pas pénétrer le motif du silence d’Allan, mais elle l’aimait trop pour n’y pas voir une délicatesse.

— Tu n’oses pas accuser ma mère, — reprenait-elle, — tu es si bon et si généreux, mon Allan ! Je ne l’accuse pas non plus. Peut-être a-t-elle été malheureuse ? Cependant, elle ne pleure jamais, et je ne me souviens pas de l’avoir vue triste.

— C’est qu’il y a des malheurs si grands — répondait Allan — qu’ils tarissent les sources des larmes, et des abattements qui ressemblent presque à du courage, tant ils frappent d’impassibilité ! Toi, tu es à l’aurore de la vie, ô ma sœur ! et tu ne sais que les larmes pour exprimer la douleur, parce que si tu souffres, tu pleures. Mais a-t-on toujours le cœur plein, et faudrait-il croire ta mère moins à plaindre si elle ressentait cette sécheresse ?

— Qui donc t’a appris cela, mon frère ? — lui disait la naïve enfant. Mais il se gardait bien de répondre. Il se gardait bien de lui dire d’où il tenait ces choses, et comment, presque aussi jeune qu’elle, il les savait. Sous l’impression attristée de ces paroles, Camille repensait à sa mère : — Si tu as raison, — ajoutait-elle, — je ne veux pas avoir l’injustice du plus léger murmure contre la froideur de ma mère ; et d’ailleurs pourquoi me plaindre, ami, puisque tu me tiens lieu de tout ? Avec toi, ai-je besoin de rien ? Ah ! pas même de l’amour de ma mère !

Et ces ravissantes paroles, elle les lui disait avec un accent qui résonnait comme une musique du ciel que i’oreille nous apporte au cœur.