Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/313

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pas du mal qu’elle causait à Allan. Elle lui racontait son passé : « Oh ! vois-tu, mon Allan, — lui disait-elle, — j’étais jalouse avant de savoir ce que c’est que la jalousie, avant de savoir que je t’aimais ! Te rappelles-tu un soir où ma mère te dit : « Attendez-moi dans le petit bois ? » Je l’entendis, et un mouvement inconnu s’empara de moi. La pensée qu’elle pouvait t’aimer, la pensée que tu l’aimais, toi, ne me vint pas. Oh ! non, j’étais trop innocente ! Mais je souffris d’une douleur que je n’aurais pas pu nommer. Longtemps ma vie en a été bouleversée. Pardonne, pardonne-moi, Allan, je ne te l’ai jamais dit ! J’ai été fausse avec toi que j’aimais comme un frère. Je haïssais ma mère parce que tu n’aimais plus ta sœur, parce que tu étais devenu brusque et froid, toi si affectueux et si bon ! Pourquoi cela ? Je ne le savais pas. J’aurais tout donné et tout fait pour le deviner. Sais-tu que j’ai passé bien des nuits sans dormir alors ? Sais-tu que je vous ai bien espionnés, tous les deux ?… J’écoutais aux portes quand vous étiez seuls, ma mère et toi. En vain je me disais que c’était mal, une puissance plus forte que la honte et que la fierté m’y a retenue ; mais je n’ai jamais rien entendu qui m’apprît que c’était de la jalousie, ce qui me bouillonnait ainsi dans le sein ! Je l’ai su depuis. Oh ! dis-moi, répète-moi, Allan, tu ne l’as jamais aimée !… » — Et il le lui assurait, et il le lui jurait, et il n’osait regarder cette jeune fille, maladroit tout en la trompant, car elle semblait jalouse encore tout en assurant qu’elle ne l’était pas.

Quand ils se séparèrent, Allan respira de l’étouffement du cœur. Lorsque l’on quitte la femme aimée avec une joie secrète, où en est l’amour qu’on lui porta ? N’est-ce pas une affreuse découverte que de se sentir soulagé par l’ab-