Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/138

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Oh ! si c’était là tout, on pourrait vivre encore

Et croupir du sommeil d’un être qui s’ignore !

On pourrait s’étourdir, — mais aux pires instants

L’immortelle pensée, aux sillons éclatants,

Comme un feu des marais jaillit de cette fange,

Et remplissant nos yeux nous éclaire… et se venge !

Mais ces traits, il les noie dans l’abondance de ces deux modèles qu’il veut imiter — ou qu’il n’imite pas, mais dont il subit l’influence, plus esclave en cela que s’il imitait. Lui si net, si concentré dans son Joseph Delorme, quelquefois dur dans les contournements de son dessin, ardemment maigre avec sa pommette écarlate, comme l’impressive poitrinaire qui est sa Muse, le voilà lymphatique maintenant avec des chairs rosaires, un peu macérées ; le voilà qui s’enfle en de longues périodes qui n’en finissent plus ! J’ai compté, page 224 (et c’est sa manière habituelle), vingt-quatre vers pour une seule phrase, ce qui, en prose même, serait long. Cicéron, le Cicéron sans reins, est vaincu. Et ce n’est pas tout. La grâce du Joseph Delorme, cette grâce sur laquelle nous avons tant insisté, où est-elle ? Il n’en reste plus, à deux ou trois endroits, que cette coquetterie modeste qui se met derrière les autres (page 241) :

Et, comme un nain chétif, en mon orgueil risible,

Je me plaisais à dire : « Où donc est l’invisible ? »

Mais, quand des grands mortels par degré j’approchai,

Je me sentis de honte et de respect touché.

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Je lus dans leur regard, j’écoutai leur parole,

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Tel qu’un enfant, au pied d’une haie et d’un mur,