Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/93

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sèrent si longtemps la Hugo, cette danse sacrée qui un instant remplaça la danse Saint-Guy… Une pièce intitulée Vision, qui ouvre, c’est vrai, le volume avec une majesté grandiose, a fait, selon moi, beaucoup trop croire à la toute-puissance visionnaire du poète (dans le sens prophétique et divinement inspiré du mot). A mon sens, Victor Hugo n’est pas’si visionnaire que cela. Ses visions, à lui, ne sont que de la forte rhétorique et de la forte mémoire, la mémoire d’un homme qui a lu fructueusement le Dante et le grand Extatique de Pathmos. La poésie de Hugo n’est pas de celles qui soient tournées naturellement du côté de l’Infini. Il l’y tourne de volonté, comme Darius tournait la tête de son cheval du côté du soleil… La poésie vraie, la poésie sincère de Hugo, est bien plutôt du côté contraire. Elle est surtout du côté du fini et du réel. La réalité communique une bien autre puissance que le rêve à cet esprit qui a besoin d’être contenu comme un sein très volumineux et trop tombant, et qui, si la réalité ne le retient pas dans ses strictes limites et son juste cadre, se distend, s’éblouit et s’effare. La langue même de Hugo ne contracte et n’a toute sabeautéqu’à la condition de s’appliquer exactement aux choses nettes et précises. Autrement, elle roule dans ses pages avec des enjambements de colosse, vague, confuse, obscure, aveugle et presque insensée. Alors, le poète, en proie à lui-même, jette des vers comme ceux-ci, par exemple, tirés d’une poésie (le Prisonnier) où la