Page:Barbey d’Aurevilly - Les Ridicules du temps, 1883, 3e éd.djvu/16

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en d’autres mœurs, je le sais bien. Nous n’en avons des immensités d’aucune manière. Mais littérairement, il faut bien le dire, nous n’en avons pas.

Si, en politique ou en religion par exemple, nos mœurs ne sont pas bien profondes, au moins nous avons des partis-pris, des sympathies, des animo- sités. L’âme humaine, si percluse qu’elle soit de- venue sous le contact de torpille d’un doute uni- versel, a en elle, cependant, des tronçons de passion qui se tordent ou se remuent encore, quand il s’agit de ces deux grands intérêts sensibles, dont l’un étreint le présent et l’autre veut embrasser l’immortalité de l’avenir. Mais pour les choses exclusivement spirituelles, l’âme humaine, comme désintellectualisée, semble avoir perdu toutes ses énergies d’autrefois. Ce n’est pas à présent, allez! qu’on verrait des masses entières d’esprits se pas- sionner purement et simplement pour des œuvres d’art et de littérature, sans préconception d’autre chose que de leur forme même, sans préoccupa- tion d’autre chose que du talent qui y brillerait..., ou qui n’y brillerait pas. Il n’y a plus maintenant de gluckistes ou de piccinistes, qui s’assomment en sortant de l’Opéra pour des harmonies et des mé- lodies, et vous pourriez, je crois, passer en revue tous les régiments de dragons de l’armée française, que vous n’y trouveriez probablement pas un officier qui, comme Stendhal, fût tout prêt à mettre