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Page:Barbey d’Aurevilly - Lettres à Trébutien, I, 1908.djvu/13

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Saint-Sauveur, mercredi soir. 1832.


J’ai oublié hier en vous écrivant, non pas de remonter la pendule comme le père de Tristram Shandy dans une occasion bien autrement importante que la confection d’un paquet, mais de vous envoyer la liste des personnes de cettuy pays qui pourraient s’abonner. Hélas ! cette liste ne saurait être longue. Figurez-vous qu’ici je suis, pour la sauvagerie et l’endurcissement, un ours, une espèce de Mordaunt (dans le Pirate de Scott), et que je ne vais chez qui que ce soit si ce n’est chez madame de Sainte-Colombe, femme d’un esprit élevé et qui aime l’esprit dans les autres avant d’avoir une opinion. Aussi, voyez l’orgueilleuse conséquence ! s’abonnera-t-elle à notre revue. Elle exceptée donc, je n’ai personne à qui je propose, en toute sécurité de n’être pas mordu, notre abominable lecture. La société de mon père est carliste, ce qui n’est que la moitié du mal, mais de plus, en fait d’opinion, d’une personnalité concentrique.

Cependant je crois qu’il serait bon que vous adressassiez le prospectus, et peut-être le premier numéro, d’abord à madame la marquise d’Héricy, au château de Pont-rü, par Valognes, et ensuite à madame de Beaufort, au château de Thiboutot, à Beuzeville-la-Bastide, par Carentan.

Je ne réponds pas que ces dames un peu caillettes du faubourg Saint-Germain, quand il y avait un faubourg Saint-Germain, exposent la blancheur d’hermine de leur carlisme aux souillures de notre contact républicain. Mais tentons-les, et que ma Léa, à laquelle déjà des larmes de femme ont promis d’autres larmes, soit la couleuvre tentatrice ! Elle est bien gentille et bien innocente, la pauvre enfant, pour faire une