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Paris, 23 août, un vendredi. 1833.


Mon cher Trebutien,

Ce n’est point moi qui suis un grand coupable, mais vous qui me calomniez. Quand il s’agira de vous, je ne serai jamais négligent. Seulement vos inquiétudes étaient de trop et je vous en remercie.

Ce qui m’a empêché de vous écrire plus toi, c’est vous-même, mon ami. J’avais à cœur de vous envoyer un lorgnon comme celui que vous m’avez vu cet hiver. Je tenais à ce qu’il fût en fer de Berlin, parce qu’excepté l’or pur et travaillé d’après un modèle donné je ne vois pas trop ce qui serait agréé par un homme de goût, l’acier n’étant plus de mise, malgré l’admirable éclat de sa splendeur azurée, vu la bronzure morne dont on l’avait terni pendant un certain temps, austère simplicité qui m’aurait plu si l’acier se portait encore. Croyez-vous que pour ne pas trouver ce lorgnon en fer de Berlin, je suis allé me casser le nez contre la porte de tous les opticiens d’ici ? Sans exagération, je suis allé chez plus de trente. Rien dans les mains, rien dans les poches, c’est-à-dire rien chez eux, rien dans cette lettre que je vais fermer avec regret, et rien au bout du ruban noir qui attend encore chez quelque marchande de la rue St-Jean. Que si vous voulez remplacer le lorgnon en question par un autre en écaille et de forme carrée (c’est assez joli, mais trop ténu et trop mince à mon avis), je vous l’adresserai avant votre départ pour the Old England.

Mon ami, je travaille beaucoup, je cours beaucoup, mais non les filles, et je m’ennuie beaucoup. Avec quoi donc com-